Dans tous les secteurs, il est une préoccupation qui devient de plus en plus centrale : la circularité. L’industrie textile ne peut éviter la question et certains y plongent carrément avec enthousiasme.
L’industrie textile fonctionne encore majoritairement de manière linéaire : des ressources non renouvelables sont utilisées pour fabriquer des vêtements qui, souvent peu portés, finiront en décharge ou en incinérateur. De plus en plus de projets et d’initiatives proposent une changement de cap vers des business models et processus de production circulaires qui visent à utiliser des matières renouvelables et moins polluantes, à prolonger la durée de vie des vêtements ou à valoriser leur fin de vie.
Alors que la transition se met en place, des nouvelles matières apparaissent et les marques qui les utilisent ont besoin de business models adaptés. C’était tout le propos de Caroline Lejamble du cabinet d’expertise Greeny Bird Dress, lors du workshop du 8 juin 2022, en proposant des ressources et des références inspirantes.
Trois pratiques fortes pour accompagner la réutilisation et la valorisation des vêtements
Parmi les différents modèles évoqués par Caroline Lejamble, nous retenons trois principes.
L’upcycling
Cette pratique, qui devient un élément central dans de nombreux nouveaux business models, consiste à créer de nouvelles pièces, à forte valeur ajoutée, à partir de stocks dormants ou des vêtements existants. À la différence du recyclage où on détruit le vêtement en tant que tel pour le transformer en un nouveau matériau de moindre valeur à partir de ses fibres. L’aspect non-standardisé des matières premières implique certains freins pour passer à une échelle de production industrielle, mais de nombreux porteur·ses de projets et entreprises s’équipent et relèvent le défi. Si cette manière de créer a, dans la plupart des cas, le mérite d’utiliser les matières destinées à être jetées (fins de rouleaux, vêtements démodés, fins de séries…) attention tout de même à ne pas créer un nouveau déchet, difficile à démanteler, qui ne retournera pas dans la fameuse boucle vertueuse tant convoitée de la circularité. Par exemple, créer un produit en assemblant différentes matières, ajouter des fournitures métalliques, plastiques… ne permettra pas son démantèlement et en fin de vie sera un produit difficilement recyclable alors que ses matières de base étaient peut-être recyclables via des canaux différents.
Inspirations :
- Marine Serre prouve qu’il est possible de proposer des pièces de qualité à partir de pièces textiles post-consommation.
- Uptrade est un exemple de plateforme pour professionnel·les désirant se fournir en fins de rouleaux.
- La marque bruxelloise Meson Brussels propose des accessoires à partir de textiles d’ameublement.
- Les Petits Riens ont lancé un nouveau label d’upcycling : Label Jaune.
- Joseffa propose du linge de nuit pour femmes créé à partir de chemises d’hommes.
- Le site web de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin met à disposition une série d’études et de guides
La seconde main
La seconde main est un mode de consommation qui s’est fortement développé ces dernières années entre particuliers. Il existe depuis longtemps des magasins spécialement dédiés à donner une seconde vie à des vêtements post-consommation. Des applications de vente sont venues renforcer cette tendance, ce qui rend la vente entre particuliers de plus en plus simple. L’essor de la seconde main engendre à présent une nouvelle pratique : les marques se réapproprient ce modèle et proposent à présent leurs propres services de seconde main, composés uniquement de leurs produits. Les client·es qui remettent les achats qu’iels ne portent plus dans la boucle du réemploi reçoivent un bon de réduction. La marque en tire un bénéfice économique non négligeable. Elle peut vendre un même vêtement deux fois, en tirer un nouveau profit et stimuler les ventes sur ses nouvelles collections par l’intermédiaire des bons de réduction. Cette pratique peut susciter le débat : le réemploi étant vertueux, elle n’aide néanmoins pas à calmer les « ardeurs de la consommation » en incitant à l’achat de nouvelles pièces.
Inspirations :
- La marque parisienne engagée propose désormais une plateforme consacrée à la revente de ses pièces entre particuliers : Balzac Paris Seconde vie. Dans ce cas-ci, les revendeur·ses peuvent utiliser leur bon d’achat sur le seconde main également.
- Uniquement disponible en France pour le moment, la Redoute offre le même service de revente entre particuliers : La Reboucle
La location
La location est un business model intéressant encore peu répandu en Belgique. On remarque que le système séduit particulièrement pour répondre aux besoins d’occasions bien particulières, mais pas encore pour la vie de tous les jours. Le système de location connait notamment des succès stories dans le domaine de l’enfance, de la tenue de soirée, de la tenue de mariage, ou du costume.
En ce qui concerne la location de vêtements du quotidien, les freins ont été identifiés et étudiés de près par une des trois finalistes du Philippe de Woot Awards 2022, Ines Maria Garcia. On note par exemple le coût du nettoyage et de l’entretien qui se répercute sur le prix de location et pour certains également, le refus de porter des vêtements qui ont été portés par d’autres personnes.
Le Théâtre de Liège, lieu qui accueillait le workshop du jour, propose un service de location de costumes (pièces uniques, d’époques, etc.), ce qui permet de mutualiser son stock, particulièrement bien fourni, pour d’autres théâtres à la recherche de pièces rares difficilement accessibles mais également pour les particuliers…
Inspirations :
- Coucou Shop propose à la location des “tenues stylées pour tous vos évènements”.
- La thèse d’Ines Maria Garcia est disponible en ligne.
- Marie Lovenberg gère le stock costumes du Théâtre de Liège, ouvert à tou·tes.
- Bonjour Maurice, la marque emblématique réversible pour enfants, propose désormais un service de location.
- Dressr offre à la location une sélection triée sur le volet de marques locales et écoresponsables.
Faciliter la gestion de fin de vie d’un produit… Pensons-y dès sa conception
Rappelons que l’éco-conception ne se résume pas à ce que l’équipe « Style » adopte à un moment T. Il s’agit surtout de prendre en compte les impacts environnementaux liés à chaque étape de l’activité : de l’extraction des matières premières, en passant par l’assemblage des matériaux et la fabrication des vêtements jusqu’à leur fin de vie. Il faut alors prioriser les points à modifier en fonction de leur impact : Caroline Lejamble nous indiquait que « travailler » sur la matière (choisir une composition naturelle, de préférence sans mélange, améliorer son procédé de fabrication) aura toujours plus d’impact que d’agir sur le transport, même si cela à son importance. Au contraire des nouvelles marques qui peuvent intégrer les bonnes pratiques dès le début, ce qui représente déjà un effort de remise en question du système classique, ce changement de cap vers la transition circulaire peut apparaître titanesque pour des marques et des industriels implantés qui devront relever des challenges techniques et financiers de taille. Niveau tempo, le conseil est d’y aller par palier car les changements peuvent s’avérer complexes. Et enfin, niveau communication, rester fidèle à ses valeurs, être honnête et transparent avec sa clientèle et ne pas tomber dans le greenwashing.
Pour aider à y voir clair et à dessiner sa stratégie, il existe des cabinets d’expertise comme Greeny Bird Dress. Caroline Lejamble et son équipe accompagnent les marques textiles dans leur transition en leur proposant un service sur-mesure.
Inspirations : les incontournables guides et ressources vers la circularité :
Où se joue le futur de la mode ?
La digitalisation s’empare de la mode : les mannequins entièrement virtuels, égéries de marques de luxe, qui exposent leur « quotidien » sur les réseaux sociaux, des vêtements virtuels aidant à la prévisualisation qui seront ensuite produits en « juste quantité », mais aussi ces vêtements en édition unique qui n’existent que de manière digitale (leur certification étant sécurisée par la technologie de la blockchain, de la même manière que pour les NFT).
Dans les bureaux de style, un des intérêts les plus évident de ces nouveaux outils digitaux est sans nul doute la prévisualisation quasiment parfaite du tombé d’un vêtement grâce aux informations de matières, de coupe, de mensurations intégrées par le ou la styliste dans le logiciel. Sur l’élaboration d’une collection, cela représente beaucoup de prototypes et donc de matières, de transports et de temps gagnés.
Alors que ce sujet crée le débat pour les créatrices et les créateurs présent·es dans la salle : son réel impact environnemental lié à son empreinte carbone numérique n’étant pas encore quantifiable, son invitation a encore plus de déconnexion de la réalité pouvant poser question, il est indéniable que cette digitalisation existe et prend sa place.
Inspirations :
- ON DEMAND FOR GOOD, la première plateforme industrielle 4.0 de conception et production à la demande.
- La première pièce de la marque entièrement virtuelle The Fabricant a été vendue à 9500$.
- La première Metaverse Fashion Week a eu lieu en mars 2022 dans le Decentraland.
- La créatrice liégeoise Assia Kara utilise la digitalisation comme outil de présentation de sa collection.
- Egérie de Balmain, l’instagrameuse Lil Miquela n’est pas tout à fait comme les autres.
À la découverte de nouvelles matières
De nouvelles matières arrivent doucement sur le marché, certaines sont encore en phase de R&D (recherche et développement) ou limitées à la petite série ; par conséquent les prix sont encore peu compétitifs mais s’améliorent lentement. Caroline Lejamble collectionne ces alternatives innovantes auprès de fournisseurs européens triés sur le volet. Le workshop était l’occasion de les faire découvrir aux 45 participants qui ont pu les toucher, découvrir leurs propriétés et obtenir les noms de leurs fournisseurs. Notons, pour les plus originales, des matières bio-basées issues de l’orange, du champignon, de l’algue, de l’ananas, du liège, de la banane…
Cette proposition d’échantillons européens a été l’occasion de mettre en lumière trois gisements ancrés localement qui se veulent être une alternative à l’offre textile majoritaire existante.
- Les derniers développements de tissus en chanvre-laine-lin de ValBiom, tissé chez Libeco et ennobli chez Alpani, présentés par Valentine Donck, chargée de projet chez Valbiom ;
- Les cuirs de poissons tannés et teints localement de Peaux de Pêche (Caroline Caucheteur) ;
- Les produits en chambre à air usagée de Bicloo (Valentin De Rodder).
Tout est à construire, et c’est tant mieux !
En 2021, Wallonie Design a mené, avec l’aide d’un consortium, une étude de terrain pour identifier les enjeux prioritaires et dresser une liste de pistes de recommandation du secteur textile de manière intersectorielle. Régionalement, la stratégie Circular Wallonia engage un soutien réel des pouvoirs publics et politiques à cette transition (lire le plan stratégique). À l’échelle européenne, c’est sur la Stratégie européenne 2030 pour les textiles circulaires qu’il faut s’appuyer (lire le plan stratégique).
Bien qu’il existe des freins à la production locale – car il est encore difficile de rivaliser avec des producteurs étrangers, l’envie de créer, et maintenir, une mode plus juste, plus locale et plus raisonnée est incontestable et partagée par les actrices et acteurs du terrain. Lors de cette journée de workshop, le dynamisme des échanges nous démontre une fois de plus que le textile local, en Wallonie, détient les clés de son avenir.
Article co-rédigé par Marie Beguin, Sara Boxus,
Cécilia Rigaux et Fanny Van hammée,
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.