C’est à Pecq, au sein de la bonneterie Ceetex, que nous avons rencontré Romain Dendievel, directeur de l’entreprise experte en tricotage rectiligne, et Vanessa Colignon, styliste et designer textile spécialisée dans la maille. Au centre de ce récit : leur collaboration dans la création d’une gamme d’éponges 100% naturelles et biodégradables, à base de lin et de chanvre. Ces créations nous plongent dans les défis très actuels de la filière textile : la préservation des savoir-faire régionaux, la relocalisation des productions, et l’innovation dans la transformation de matières écologiques délaissées par l’industrie textile.
Design for Resilience
Au départ de cette collaboration : la volonté d’une jeune styliste et designer textile de s’engager dans la voie de la durabilité et de la résilience. Constatant l’ampleur des impacts environnementaux et socio-économiques de l’industrie textile, Vanessa Colignon a décidé, dès 2010, de se spécialiser dans les fibres naturelles et écologiques.
Neuf années d’expériences plus tard, Vanessa fonde son atelier de recherches textiles, Design for Resilience, poursuivant un double objectif : relocaliser une filière textile éthique plus respectueuse de l’environnement, et créer des modèles de production en circuit-court.
→ Son projet ? Produire des accessoires entièrement biodégradables en fibres naturelles, locales et solides, ne libérant pas de microplastiques ni de gaz toxiques au cours de leur production, pendant leur utilisation et à leur fin de vie.
Vanessa oriente dès lors ses recherches vers le travail du lin et du chanvre, plantes résistantes qui se cultivent sans irrigation et sans pesticides. La transformation et le travail de ces matières naturelles, délaissées par l’industrie textile belge, représentent un réel défi. Il s’agit alors d’innover, d’expérimenter et de collaborer avec des entreprises expérimentées pour parvenir à des créations qualitatives et abordables.
Tester, itérer, adapter et valider les premiers prototypes
Avant d’entrer dans le processus d’industrialisation, Vanessa se lance dans une phase de recherches et de prototypages où elle teste, librement, le tricotage du fil de chanvre sur sa machine à tricoter manuelle. Cette phase primordiale lui permet d’appréhender les diverses propriétés de ce nouveau matériau et d’expérimenter les différentes couleurs, modèles, textures et structures de maille… pour finalement aboutir aux premiers prototypes qu’elle fait tester auprès de volontaires sur une période variant de 10 jours à 6 mois.
L’industriel au challenge du designer
Dans l’idée de collaborer avec des acteurs locaux de la filière textile belge, c’est tout naturellement que la styliste se tourne vers l’entreprise familiale Ceetex, la dernière bonneterie de Wallonie, située près de Tournai. Son dirigeant, Romain Dendievel, n’est autre que l’ancien professeur de tricotage industriel de Vanessa, à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles.
D’abord un peu réticent à l’idée d’utiliser des matières qu’il connaît peu et qui pourraient potentiellement abîmer ses machines par leur rigidité et leur irrégularité, l’entrepreneur accepte finalement le défi et accompagne Vanessa dans la co-création d’éponges en fibres naturelles.
« En tant qu’entreprise, il faut tout le temps chercher, ne serait-ce qu’au niveau économique, de nouveaux marchés, de nouvelles choses à faire. La demande de Vanessa m’a permis de m’ouvrir à un nouveau savoir-faire, qui va me permettre d’améliorer mon expertise, de compléter mon offre de service et d’accéder à de nouveaux marchés. »
Romain Dendievel, Directeur de l’entreprise Ceetex
La collaboration : de l’artisanat à l’industrialisation
Cette demande, bien qu’inattendue pour l’industriel, marque le début d’une collaboration riche en apprentissages, qui allie recherches artisanales et savoir-faire industriel.
« Dans mon processus de création, je confronte mon travail artisanal à l’industrie : j’explore les limites des fibres naturelles en m’y adaptant afin de réaliser un objet reproductible, accessible et éthique. »
Vanessa Colignon, Styliste et Designer textile – Design for Resilience
Une fois validés, les prototypes artisanaux de Vanessa sont analysés et reproduits sur les machines de tricotage de la bonneterie. Du traitement du fil au produit fini, c’est l’entièreté du processus de production qui est alors repensé, en fonction des contraintes technico-économiques.
« Contrairement à d’autres matières, le lin et le chanvre sont plus difficiles à travailler à cause de leur rigidité : tricoter demande de la souplesse et de l’élasticité. Les machines doivent travailler plus lentement que d’habitude pour éviter que le fil ne se rompe, ce qui, in fine, va impacter sur la rentabilité et sur le prix. »
Romain Dendievel, Directeur de l’entreprise Ceetex
Ensemble, ils choisissent également des fournisseurs de fils en mesure de garantir la qualité et la traçabilité des matières premières utilisées[1]. Ensuite, les premiers échantillons créés en bonneterie sont à leur tour testés par Vanessa et par des utilisateurs pour évaluer leurs caractéristiques fonctionnelles et techniques (solidité, résistance, séchage, décomposition des matériaux…). Ces prototypes évolueront jusqu’à la pleine satisfaction de leurs utilisateurs.
Un enrichissement mutuel
Pour la styliste, cette collaboration a été l’opportunité, d’une part, de se professionnaliser en renforçant sa méthode de travail et son expertise industrielle et, d’autre part, d’être prise au sérieux par ses différents interlocuteurs de l’industrie textile.
En outre, elle a pu augmenter l’échelle de production de ses accessoires textiles en passant d’une micro-production artisanale à une production sur machine industrielle, capable d’approvisionner un réseau de 350 boutiques dès novembre prochain !
Pour l’industriel, il s’agit, en plus de travailler sur un projet porteur de sens, de sortir de sa zone de confort et de faire un pas en avant par rapport à ses expertises, sa formation, mais aussi, son esprit rationnel en recherche constante d’optimisation et d’efficacité.
« L’approche empirique du designer se basant sur l’essai-erreur remet directement en question mon propre mode de fonctionnement, plus systématique. Au lieu de penser aux contraintes, les designers osent tout, pour ensuite réduire, et cibler leur travail. »
Romain Dendievel, Directeur de l’entreprise Ceetex
Collaborer avec un designer représente une prise de risque que le spécialiste en bonneterie considère payante. Pour ce dernier, il est important d’encourager le développement de ce type de projets, pas forcément rentables au début, mais qui permettent d’expérimenter d’autres méthodes et techniques, et d’adapter le processus de production en vue de répondre à de nouvelles demandes.
Focus sur la valeur ajoutée du design
Action / Délivrable | Plus-value du design | Étape du DISC |
Recherche et expérimentation formelle |
Dans cette phase, Vanessa expérimente concrètement les possibilités qu’offrent les nouveaux matériaux (lin et chanvre) pour développer des pistes d’exploitation inédites donnant lieu à de nouveaux produits.
| Explorer les opportunités |
Premier prototype non fonctionnel |
Le premier prototype réalisé par Vanessa lui permet de mieux appréhender le futur produit et ses diverses propriétés. Elle peut ensuite le faire tester afin de recueillir les premières impressions des usagers, sur des aspects tant esthétiques que fonctionnels.
| Formaliser le concept |
Sourcing des technologies et des compétences |
En tenant compte des critères économiques et techniques pour le développement de son projet, Vanessa identifie Ceetex en tant que partenaire-clé. Ensemble, ils choisissent alors les fournisseurs à même d’approvisionner les ressources utiles au projet.
| Etudier la faisabilité |
Prototypes fonctionnels |
Ensemble, Romain et Vanessa mettent au point des versions de plus en plus abouties de prototypes en cherchant à éprouver la faisabilité des fonctionnalités du produit et à identifier de possibles freins ou problèmes techniques dans son développement.
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Test du prototype fonctionnel en conditions réelles –
Conduite et analyse de tests utilisateurs |
Les prototypes fonctionnels réalisés au sein de la bonneterie sont testés dans des conditions réelles d’usage, afin de challenger et d’optimiser les aspects techniques du produit en vue de finaliser la conception.
| Challenger le prototype |
Liens utiles :
- En vue de développer davantage sa gamme de produits, Vanessa lancera une campagne de crowdfunding au mois d’octobre 2021. Pour être tenu informé du lancement et de l’avancement du projet, inscrivez-vous à la newsletter du Studio Design for Resilience.
- Site web du Studio Design for Resilience.
- Site web de la Bonneterie Ceetex.
[1] Le fil de chanvre est filé en Tunisie et cultivé en Chine. Le fil de lin est cultivé en Europe, certifié Master of Linen et filé en Lituanie.
Photos ©Bettina Genten, 2021
Bettina Genten | Photography
Article rédigé par Julie Toby
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.