L’upcycling éthique redonne vie aux bâches PVC de la Semaine de la Mobilité

Plus de 1.900 millions de m² de bâches publicitaires seraient utilisées chaque année en Europe[1]Aussitôt consommées, aussitôt délaissées, elles ont un cycle de vie limité. A moins que le design circulaire, reconsidérant les performances techniques du PVC, ne leur redonnent une valeur utile, esthétique et… éthique ! En témoignent la créativité de l’entreprise Design Point et le projet symbolique porté par le Service Public Mobilité.


99% des bâches PVC finissent à l’incinérateur

Souvent constituées d’un mix de fibres de polyester et de PVC, deux matériaux difficiles à dissocier, 99% des bâches promotionnelles utilisées en Europe sont incinérées ou enfouies. Peu rentable au recyclage mais très bon combustible, le PVC est devenu un « bon » client des incinérateurs wallons. Une vie paradoxalement éphémère, eu égard aux qualités techniques du support…

Chaque année, la Direction générale Mobilité et Voies hydrauliques du Service public de Wallonie (SPW), fait imprimer plusieurs dizaines de m² de bâches pour assurer la promotion d’événements régionaux. C’est lors d’un tri que Pauline Caxton, en charge de l’organisation de la Semaine de la Mobilité en Wallonie, a réalisé qu’à défaut d’un projet de revalorisation, le stock finirait à l’incinérateur.

Appuyée par une dynamique interne favorable, la rencontre entre l’équipe du SPW et Jean-Luc Théate, fondateur de l’entreprise Design Point, s’est révélée déterminante.

Spécialisée dans la valorisation d’excédents de production et de déchets d’entreprises, Design Point a fait du stock dormant du SPW la matière première d’un projet porteur de sens.

La matière, élément central du projet d’upcycling

Designer industriel de formation, Jean-Luc Théate a expérimenté et acquis, entre mécanismes, fonctionnalités et matériaux, les savoir-faire de la conception de fauteuils au sein de l’entreprise ROM. Celle-ci confiait alors à ses designers la globalité du process de conception des produits. Jean-Luc a ainsi acquis une maîtrise complète (du dessin au prototypage) et orientée confort de l’utilisateur.

C’est en menant une étude[2] portant sur « les échecs industriels en matière de recyclabilité » qu’il identifie le potentiel de la bâche PVC : durable, souple et facilement lavable après découpe, il conférera une qualité constante aux produits de Design Point, l’entreprise qu’il crée en 2009.

Le design joue un rôle-clé dans le défi de l’économie circulaire. En cherchant des moyens de créer un produit ou un service fonctionnel et fabriqué avec des matériaux optimaux pour offrir les meilleures performances, il minimise son impact négatif tout au long du cycle de vie.

© J.Brisson

Design Point séduit, entre écodesign et design social

Cerise sur le gâteau, le matériau choisi est en adéquation avec le souhait du designer : mettre le design au service d’un projet d’économie sociale. La valorisation de bâches publicitaires n’est certes pas une nouveauté. Mais le choix réfléchi de collaborer avec l’APAC – une entreprise de travail adapté située près de La Louvière – en fait un projet particulier : complémentaires aux compétences du designer, le savoir-faire des ouvriers(-ères) et l’expérience de gestion de l’atelier de couture existant ont permis de construire un véritable partenariat social.

Loin de l’upcycling luxueux, chaque modèle est conçu avec une triple contrainte : le matériau, la demande du client et les capacités de production de l’entreprise d’insertion.

L’équipe du SPW Mobilité est allée voir Design Point avec ses bâches usagées et un projet de plumiers ou de sacs, on ne peut plus classiques, en tête.

 « La sacohe de vélo est une proposition de Design Point :
 quelle évidence pour un département qui promet la mobilité douce! » 
Pauline Caxton, SPW

« Nous avons été surpris par la qualité du produit fini », souligne la Chef de projet. Esthétique (les couleurs de l’institution, ses messages et son identité sont mis en valeur), la sacoche est aussi pratique (elle peut être « clipsée » facilement à la selle de n’importe quel vélo et une plaque issue de panneaux microperforés récupérés sur chantier assure la rigidité du rabat).

La quantité de matière nécessaire varie de 0,5 à 0,8 m² par pièce, selon les modèles. Pauline Caxton a apporté ses propres bâches mais dans d’autres cas, Design Point se sert d’un excédent de stock laissé par un client ou partenaire. Pas besoin de grands espaces de stockage, donc.

 «  Si le produit répond aux attentes du client, c’est parce qu’il est le fruit d’une réflexion intégrée qui lui permet de tenir la route par rapport aux objectifs économiques, sociaux et éthiques de Design Point » 
Jean-Luc Théâte, Design Point

Les atouts du designer au service de l’économie circulaire

Le design circulaire requestionne la génération actuelle de produits et matériaux. Il minimise ainsi l’utilisation des matières premières primaires. Objectif : réduire la perte de valeur des produits et matériaux en les faisant circuler en boucles fermées (réutilisation, réparation, refabrication, remise à neuf ou recyclage) qui prolongent leur cycle de du produit et améliorent la productivité des ressources.

S’adaptant aux ressources disponibles au sein de l’APAC – tant au niveau des équipements que des ressources humaines – la valorisation des bâches en bagages n’a pas nécessité d’investissement coûteux. Le processus de conception des modèles a, lui, été traduit en tâches précises et répétitives. Leur personnalisation (accessoirisation, finitions) est possible mais elle se limite aux compétences de l’atelier, de manière à limiter les coûts de production tout en tenant des délais de livraison raisonnables (de 2 à 8 semaines, selon les demandes).

©J.Brisson

Pour le SPW, l’aspect économique avait évidemment son importance : le prix des bâches a été réinvesti utilement dans des produits esthétiques et de qualité, qui ont su rester accessibles.

Penser le produit autrement pour anticiper sa réaffectation

Avec Design Point, Jean-Luc souhaitait participer à l’amorce d’un changement chez les industriels. Aujourd’hui, il constate que ce revirement est un coût comme les autres pour les entreprises. Du côté du SPW Mobilité, l’idée fait pourtant son chemin. La réflexion se porte davantage sur les matières, les formes, les couleurs utilisées… pour se concentrer dans un travail global qui commence dès la définition des objectifs d’une action.

 «  Aujourd’hui, on ne renonce pas nécessairement à imprimer
un support, mais on anticipe son affectation future » 

Pauline Caxton, SPW

Chez Design Point, on est bien conscient que la boucle n’est pas tout à fait bouclée… « Il vaudrait mieux ne pas imprimer du tout ce support ! », admet le Directeur, qui trouve d’autres satisfactions dans ce projet. Le développement de l’atelier notamment : il a grandi, acquis une expertise unique, s’est diversifié et a fidélisé ses clients.

Erigée en ASBL, Design Point s’investit également dans la sensibilisation au développement durable. Par le biais de ses produits bien sûr, mais aussi de conférences et d’ateliers, ainsi qu’en soutenant les projets de jeunes étudiants en design. Elle étudie également la valorisation d’autres déchets de l’industrie. Non soumises aux contraintes subies par le matériau de surface, les doublures en cuir de nos canapés seraient, par exemple, des candidates idéales…

Un projet prometteur pour continuer à faire rimer design et social !


[1] Chiffres 2016. Source : www.3-0.fr, « Evénements et développement durable ».

[2] Cette étude, menée en 2008 en collaboration avec une entreprise d’insertion bruxelloise et d’autres
collaborateurs pendant la phase d’étude et de lancement de l’activité, a été subventionnée par le
Gouvernement. A l’époque, le portefeuille fédéral de l’intégration sociale était géré par Marie Arena.

Article rédigé par Emilie Parthoens, chargée de communication – veille et politique éditoriale

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