Rodolphe Finamore : « On s’occupe trop peu des utilisateurs derrière l’écran »

À Liège, Rodolphe Finamore (UX Lab) pratique un métier pas comme les autres : spécialiste en expérience utilisateur. Ou comment remettre de l’humain dans le monde de machines et d’écrans qui est désormais le nôtre…


Que vous le vouliez ou non, ça vous arrive à présent des dizaines, voire des centaines de fois par jour : vivre une expérience utilisateur. Une quoi ? L’expérience utilisateur, c’est le comportement que vous adopterez face à un écran, la plupart du temps ce sera une souris à la main. Mais ce n’est plus obligatoire : grâce aux écrans tactiles, nous utilisons désormais nos doigts, pour swiper à qui mieux mieux (en attendant de pouvoir le faire… avec les yeux !)

Cette expérience, elle a été conçue, anticipée, décortiquée, améliorée à l’infini, par des spécialistes comme Rodolphe Finamore. Nous l’avons rencontré dans ses bureaux de Droixhe (Liège). C’est là que ses nombreux, et très diversifiés clients, viennent écouter ses recommandations car Rodolphe est l’un des rares experts dans ce domaine en Belgique. C’est là aussi que se succèdent ses « testeurs », hommes et femmes de bonne volonté, qui viennent passer quelques heures derrière un écran, et dont tous les comportements (doute, hésitation, découragement, intérêt, surf, voire achat…) seront observés à la loupe, et même filmés – histoire de documenter au mieux l’instant.

« Toute notre vie est gérée par écrans interposés, nous confie l’expert. Parfois, il y a quelqu’un à l’autre bout de l’écran, mais de moins en moins… D’un côté il y a les designers, les codeurs, les développeurs. De l’autre côté, les utilisateurs. Bizarrement on s’occupe très peu d’eux. En 2021, j’ai été appelé sur l’application Coronalert par l’état belge, en urgence. Vu le contexte, il fallait que ça fonctionne impeccablement, et pour la toute première fois sur l’ensemble de la population. Or nos capacités sont très variées. Analphabétisme, incapacité à utiliser l’outil informatique… Il y avait de nombreux axes de faiblesse à identifier… de toute urgence ! »
— Rodolphe Finamore

Le travail de Rodolphe, on l’a compris, n’est donc pas tellement le look factuel des sites dont il s’occupe, mais bien leur organisation sous-jacente – même si l’un découle parfois de l’autre, et si, la fonction créant l’objet, un site agréable aux yeux l’est souvent aussi pour l’esprit, et favorise une utilisation fluide. L’objectif : que l’utilisateur ait bien sûr la meilleure expérience possible du site en question. Mais derrière le terme « meilleure » se cachent bien sûr plusieurs réalités. Un site émanant du service public aura pour but que vous passiez peu de temps sur ses pages successives, et que vous trouviez tous les renseignements espérés. Un site commercial, lui, aura tendance à prolonger l’expérience de l’utilisateur. Mais attention, l’objectif final étant la vente (ou la prise de rendez-vous, voire le fait de confier au site certaines coordonnées pour un devis ou une newsletter), il ne s’agit pas non plus d’effaroucher le client, mais bien de lui procurer une expérience agréable, où il aura l’impression d’avoir glané des infos, mais aussi d’avoir été compris.

L’outil de Rodolphe : la revue experte. Ce compte-rendu hyper détaillé explique aux responsables d’un site les pistes à explorer pour améliorer l’interface. Cet outil servira de guide aux développeurs, designers graphiques, responsables marketing, etc. pour opérer les choix les plus propices à l’expérience utilisateur attendue. Car un site qui ne fonctionne pas aura un impact direct dans la vie réelle. « Mille personnes par jour qui ne trouvent pas la réponse adéquate, nous confie Rodolphe, c’est 1000 coups de téléphone, ou 1000 personnes qui se rendent sur place. Cela génère de la frustration, pour eux, mais aussi pour ceux qui vont devoir leur répondre, et qui sont débordés, et donc en situation d’échec. »

Aujourd’hui Rodolphe est dans la position luxueuse de pouvoir choisir ses projets. Il privilégie les pouvoirs publics et les personnes « bien intentionnées ». On citera notamment : La Ville de Liège, le CHU, l’Orchestre Royal Philharmonique, l’AWEX, la Ville de Bruxelles, la Ville de Mons, la Chocolaterie Galler, les bijoux MyaBay, J&Joy, APEF, l’ONE, Evivico, etc.
Signataire de la charte « Designers éthiques », il refuse de basculer du côté obscur de la force, comprenez par-là les fameux « dark patterns », utilisés à foison par le commercial et le marketing, les enfants terribles de notre hyper digitalisation.

« Soyons clairs, c’est un univers de services, mais c’est aussi un univers de manipulation. Un humain ne passe pas sa journée naturellement devant un écran. Or c’est là que désormais il consomme le plus. Il faut le garder captif. Jusqu’à créer des addictions… ? »
— Rodolphe Finamore

Le but d’une technologie qui fonctionne bien, c’est de nous faciliter la vie et de dégager plus de temps pour « le reste ». Ce que l’on constate c’est que ce temps-là, on le passe devant d’autres écrans. Il va falloir être vigilants nous rappelle Rodolphe Finamore : à ce que la place de l’utilisateur soit la plus confortable et la plus efficace possible. Et ce, dans le respect de notre libre-arbitre d’êtres vivants, pensants, que nous espérons rester encore… un certain temps !


www.uxlab.be

Photos : © Cécilia Rigaux / Wallonie Design


Article rédigé par Sylvestre Sbille,
avec le soutien du
Fonds européen de développement régional.

 

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