Focus sur Pierre-Yves Panis dont le parcours professionnel est si riche et varié qu’il est difficile de le résumer en un seul article. Le designer wallon nous a donné sa vision, résultant de sa longue expérience, et nous avons tenté d’en tirer l’essence. Elle se résume en trois notions capitales : l’humilité, le sens de l’observation et le temps que l’on se donne.
Wallonie Design a voulu mettre en lumière les parcours de designers wallon·nes ayant exercé aux quatre coins du globe. Nous leur avons demandé de partager leurs expériences et les pratiques inspirantes rencontrées en chemin. Ces designers nous ont aussi exposé leur point de vue sur le métier et nous ont confié les conseils qu’ils donneraient à de jeunes designers.
Après avoir suivi une licence artistique à Saint-Luc à Tournai, Pierre-Yves Panis poursuit ses études à l’ENSCI, les Ateliers (École Nationale Supérieure de Création Industrielle), à Paris. Il effectue son premier stage en Belgique, puis part à New-York pour un deuxième stage chez Oxo. Ses études terminées, il part au Zimbabwe où, avec d’autres designers, ils montent une ONG visant à améliorer la production du secteur informel urbain. Il y restera huit ans. Il repart ensuite aux États-Unis où il travaille comme Designer principal chez Moen, après quoi, il revient en Europe et est Vice-Président du design chez Legrand, puis pour Orange en France. Il est également Chief Designer Officer pour Signify (anciennement Philips Lighting) aux Pays-Bas et, désormais, il occupe le poste de Global Vice President Experience chez Publicis Sapient. Aujourd’hui, il est aussi Président du Conseil Professionnel de la CY School of Design.
Quelles sont les notions rencontrées en cours de parcours académique que vous trouvez essentielles pour les designers ?
À l’ENSCI, nous avons appris à dessiner. Nous avons vraiment pris le temps d’apprendre à poser un crayon sur une feuille pour tracer les lignes d’un objet, d’un espace. Pour moi, aujourd’hui, c’est encore essentiel. En dessinant, on apprend à déconstruire l’objet et donc à comprendre comment il est fait dans ses trois dimensions. L’action de dessiner permet l’observation qui, pour moi, est absolument fondamentale pour un·e designer : observer, dessiner, a un impact sur la conception et donc, par exemple, sur notre capacité à mettre au point des produits éco-conçus, ou que l’on peut désassembler, des objets intelligents, ergonomiques ou intuitifs.
Pendant vos études, vous avez effectué un stage à New-York chez Oxo et finalement, vous avez été engagé là-bas comme designer…
Oui, j’étais parti pour trois mois et finalement j’y suis resté 7 mois de plus. Cette boîte s’intéressait particulièrement à l’anthropologie et faisait du smart design : une des personnes qui y travaillait a expérimenté le fait de vivre comme une personne âgée dans le quartier de Harlem. Pendant plusieurs jours, elle a porté des prothèses limitant ses mouvements afin de bien comprendre les difficultés d’une vieille dame à évoluer dans un milieu urbain qui n’est pas fait pour elle. C’était ma première expérience aux États-Unis. Des années plus tard, j’y suis retourné pour travailler chez Moen. L’entreprise réinventait l’expérience sous la douche. Nous avons réellement observé des gens qui se douchaient et à la suite de différents constats, nous avons conçu un pommeau de douche pivotant, le revolution shower head. C’est important aux USA de se donner du temps sur le design research : les produits sont conçus autour d’observations anthropologiques, d’études morphologiques. L’objectif est de comprendre les enjeux avant de trouver une solution.
D’après vous, quels sont les qualités principales d’un·e designer ?
Il ne faut jamais hésiter à remettre en cause ce qui paraît être évident, ce qu’on a toujours fait. L’important est de réfléchir à ce pour quoi nous voulons contribuer au monde et de ne pas forcément faire ce qu’on attend de nous. C’est de la self reflexion : connaître où sont nos forces et ce qui nous anime. Si on est conscient de cela, on trouvera toujours comment se rendre utile. En fait, il faut pouvoir se poser les bonnes questions, par exemple, « J’attends quoi de la vie et du monde dans lequel je vis ? ». On peut alors trouver, à notre propre échelle, ce que sera le monde de demain et quel service il est pertinent de fournir.
Que trouvez-vous d’excitant dans ce métier ?
Ce qui est passionnant, c’est que les designers peuvent aborder n’importe quelle thématique. C’est une profession qui est à même de se poser des questions systémiques et de voir “the big picture”. En réalité, cette idée m’a déjà posé quelques problèmes de légitimité, j’ai plusieurs fois souffert du syndrome de l’imposteur. Cependant, nous sommes légitimes et il faut pouvoir se faire confiance, à condition de se poser les bonnes questions et de garder une certaine humilité dans ce qu’on fait. Il faut être capable de se demander si on fait bien les choses et ne jamais arrêter d’y réfléchir : « Suis-je pertinent ? Ai-je bien observé ? Ai-je fait un raccourci ? ». Prendre le temps de s’interroger sur ce qu’on fait, d’observer, c’est capital.
Photo de couverture : © good-design.org