Nathalie Stockman est une femme du changement : digne représentante d’un mouvement d’opérateurs engagés dans la transition écologique, elle a construit son activité de design de la maille dans la discrétion de la dimension locale et humaine, contribuant à opérer une transformation très chère aux partisan·es du développement durable et de l’économie circulaire : la régénération du milieu rural, la création de micro-industries « high-tech et slow craft » (Li Edelkoort) qui revalorisent les ressources et les savoir-faire, grâce à la création de filières basées sur les besoins du territoire (habitants et écosystème), vecteurs d’emploi et d’un système socio-économique résilient.
Le parcours de Nathalie Stockman est un exemple de cohérence : de la ville à la campagne, de la création artistique basée sur la production accélérée d’objets à la sobriété d’une activité artisanale en plein milieu rural où tout est ralenti, le temps du travail devient fluide et s’entrelace sans frictions au cycle de la vie, des personnes et du vivant. Se rapproprier de la matière première est au cœur de son propos : et notamment, la laine et sa valorisation dans toutes les étapes, de la qualité des élevages, à la création du fil aux méthodes de production d’une collection d’accessoires – étoles, écharpes, plaids, coussins – d’une qualité exceptionnelle.
Née à Anvers, formée aux arts visuels à La Cambre à Bruxelles, peintre et photographe, elle découvre la maille par un besoin urgent de se reconnecter avec de la nature, avec les choses essentielles et ancestrales, comme la laine. Elle s’en approprie, étudiant la technique et la matière comme autodidacte. Aujourd’hui, elle maîtrise toute seule les machines, la technique, le design et la fabrication de ses créations jusqu’au moindre détail, ainsi que la gestion de deux activités : by stockman, la marque qu’elle a créée en 2014, et Mouton, une collection en laine kilomètre zéro, qui sera lancée en septembre 2022.
« Dans mes produits, il y a toujours un grand soin du détail. Je m’offre toujours le temps de penser à la petite note, la petite touche. Ma méthode de travail s’inscrit complètement dans la philosophie du slow design. »
Dans son atelier à Havelange, les machines à tricoter envahissent l’espace : chaque type de fil et d’épaisseur corresponde à un métier, ce qui est très différent par rapport au tissage. Ici, il y a du low- et du high-tech combinés, de l’outillage manuel traditionnel et du numérique de pointe qui cohabitent grâce au discernement de la designer, qui alterne en s’amusant les codes archaïques et ceux du futur. Le métier à tricoter rectiligne à programmation numérique, qu’elle s’est régalé grâce au financement de Rayonnement Wallonie, lui permet d’optimiser la fabrication des échantillons avec de fils de différentes épaisseurs et qualités diverses. Malgré une formation très ardue pour apprendre à programmer et travailler avec les softwares, « pour des petites structures et pour un designer, ça offre une flexibilité incroyable. »
« Ma manière de travailler est très sensorielle. Je n’entame pas un projet par le dessin, je le conceptualise dans l’esprit et ensuite, je vais vers les matières et j’essaye de voir quelle est la meilleure fibre qui peut être mon support. C’est pour cela que j’ai besoin de créer mes propres fils. »
Dans ses recherches, elle essaye de trouver le mariage parfait entre la fonction et la matière. La laine naturelle est une matière très variable. C’est une fibre vivante. Il faut bien la comprendre et savoir comment elle réagit. Il y a un travail d’expérimentation énorme, d’échantillonnage : la maille comporte une dilatation temporelle à laquelle on n’est plus habitués, un processus lent et passionnant. La laine rustique se prête à dialoguer avec d’autres fibres. C’est dans cet espace subtile que Nathalie met tout son savoir-faire : des fils de lin ou de soie s’entrelacent à la laine donnant vie à un jeu de vibrations séduisantes, qui sont possibles uniquement grâce à la maitrise complète de la production.
« On fait très attention à toute la chaine de production. On fait laver la laine, on va la porter au peignage pour récupérer uniquement les fibres longues et obtenir un fil de qualité. On récupère tout, même les déchets, qu’on valorise pour rembourrer des coussins. »
Le fil obtenu est simple, organique et d’une valeur inégalable car il n’a perdu aucune de ses qualités (comme la kératine) et donc toutes ses propriétés thermorégulatrices. « Les élevages sont bio et la production garde la certification bio sur tout le process. C’est vraiment aller à la source. Il faut suivre le cycle de vie, car la laine est une matière vivante, qu’on doit soigner de manière sévère, à partir du bien-être des moutons. »
« C’est très compliqué de trouver des gens qui détiennent encore ces savoir-faire. »
Et c’est autour de la transmission des techniques, de l’apprentissage et de l’expérience sur place que Nathalie souhaite s’engager dans les prochaines années. La délocalisation de la production a contribué à dévaloriser cette matière et à décimer les artisans spécialisés en Europe et surtout en Belgique. « Cette année, j’ai eu l’occasion de donner un workshop aux étudiant·es en design textile de la Cambre pendant deux jours. Ce serait intéressant d’organiser des knitting camps ici à la ferme. Je trouve que, dans les écoles, on ne pousse pas trop cette technique. Les stylistes dessinent, mais en fait, ils ne se rendent pas compte qu’ils se privent d’un tas de possibilités. Avec les outils disponibles aujourd’hui, il y a moyen de faire des choses incroyables. Il est temps de favoriser la recherche, la formation et de relancer ce secteur. »
Photos :
© Héloïse Rouard – Ultra Vagues
Dans la photo de son portrait, Nathalie porte un t-shirt vintage de la styliste Katharine Hamnett.
Article rédigé par Giovanna Massoni,
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.