L’open design pour personnaliser les réponses thérapeutiques

Quoi de mieux, pour explorer le lien entre design et santé, que d’aller à la rencontre de ceux qui, au quotidien, font converger les atouts du design avec les besoins des bénéficiaires de soins ? C’est au sein de deux plateformes d’innovation de type « labs » que nous avons exploré ce sujet en réunissant des profils passionnés et passionnants. Lieven De Couvreur (D4E1 Lab, Courtrai), un designer industriel au service d’une remise en capacité face au handicap. Et Lara Marquet et David Servais (KapLab, Liège), respectivement ingénieure biomed et un éducateur spécialisé,  qui voient le design comme un des chainons manquants de la revalidation.

Des contextes distincts, une même envie d’ouverture

D4E1 Lab (pour Design for (Every)one) prend place au sein de Howest, l’École Supérieure en Sciences Appliquées de Courtrai. Drivée par l’open design, D4E1 se caractérise par une volonté d’ouverture et de partage de tout ce qui y est conçu. Une philosophie qui se cristallise dans un principe simple : « Ce qui sert à l’un.e doit pouvoir être mis au service des autres ». Le KapLab, lui, est initiative née au cœur du CHU de Liège (Esneux) sous l’impulsion de professionnels qui souhaitaient emmener l’innovation là où elle est la plus utile, c’est-à-dire plus près des patients et de leurs demandes spécifiques en revalidation. Malgré leurs origines distinctes, tous deux s’attachent à apporter des réponses tangibles à des demandes singulières émanant d’individus qui ne trouvent pas, sur le marché « classique », de dispositifs à même de répondre à leurs attentes propres. Pour les équipes des deux labs, il s’agit de recréer, avec et pour leurs patients, les conditions d’existence d’une expérience épanouissante, plus que simplement satisfaisante. Pour y parvenir, ils placent l’innovation au cœur de leurs pratiques pour la mettre au service des besoins. La technologie est la bienvenue, mais jamais au détriment de l’humain. ESPACE

Fablab, un « modèle » qui fait sens en santé

« L’esprit fablab » est bien présent dans les deux structures et cela se ressent tout particulièrement à deux niveaux dans le processus et le produit. La dynamique de cocréation instaurée offre au patient de jouer un rôle actif : il soumet une problématique de vie quotidienne, intervient dans la conception du dispositif développé et challenge le prototype pour répondre à son propre besoin. Le résultat, ce sont des produits conçus pour faciliter le quotidien et bien plus encore !
Intégrer le patient dans le développement de ses propres solutions, un principe essentiel de l’open design (D4E1, Howest).
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« Le design participe à la mise en capacité de l’individu au centre du processus. Au sein de la structure, il devient un véritable process thérapeutique, un moteur puissant capable de transformer la frustration d’une invalidité en une opportunité. Le design ramène l’attention du patient vers un éventail d’actions possibles qui s’ouvrent à lui. »  Lieven de Couvreur, coordinateur D4E1

ESPACE Par ailleurs, le « modèle » fablab encourage à utiliser moins de ressources, plus locales et à les travailler avec un nombre limité de machines, cinq tout au plus. Il ne s’agit pas freiner la création, au contraire, il s’agit de faire plus avec moins, de trouver la bonne combinaison pour impacter plus, avec moins. ESPACE

« Intégrer l’usager dans la création de l’outil qui lui convient lui permet de reprendre le contrôle de sa vie, en devenant acteur de son propre projet. C’est un formidable symbole, une reprise salutaire de contrôle face à un handicap qui a tout chamboulé. » Lara Marquet, ingénieur biomédical – projet Kaplab

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Les 1001 vertus du design en santé

Au KapLab, le design n’est pas présent stricto sensu, mais au fur et à mesure que des collaborations se construisent (avec le ReLab de Liège ou encore les étudiants de la section design industriel de St Luc), il y un ressenti croissant en faveur d’une plus forte intégration du design. ESPACE

« J’y vois un avantage évident, notamment dans l’aspect formel des produits. Grâce aux compétences des designers, les aides techniques se font plus légères, plus ergonomiques, plus esthétiques. C’est une satisfaction énorme de pouvoir personnaliser un dispositif de soin qui fait partie de soi ! » David Servais, éducateur spécialisé – projet Kaplab

ESPACE Lieven De Couvreur, lui-même designer de formation, confirme cette plus-value. En outre, il évoque, entre autres avantages à l’intégration du design, sa capacité à relever des challenges plus techniques : le choix des matériaux et techniques de production, ou encore la connaissance des modes de connexion et d’adaptation, ou « hacking » d’objets. ESPACE ESPACE Les avis convergent enfin en matière de méthodologie. Le fonctionnement par essais-erreurs invite à prototyper très tôt, pour tester auprès des patients et recevoir de précieux feedbacks rapidement. Un processus qui permet de prendre les bonnes décisions, au bon moment. ESPACE

« Ce faisant, le design sort de la logique qui prévaut dans le milieu de la santé. Il remet en question les process, il interroge les protocoles et ne cherche pas des solutions qui conviennent au plus grand nombre mais plutôt, en priorité, la solution qui s’adapte au vécu de la personne qui la sollicite. » Lieven de Couvreur, coordinateur D4E1

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De l’inspiration à la collaboration

Toutes ces plus-values font de la contribution du design au monde de la santé quelque chose de particulièrement inspirant, tant pour les designers que pour les soignants et leurs patients. Les premiers en retirent la satisfaction de participer à améliorer réellement la vie d’un individu ; les seconds expriment leur créativité et s’investissent dans le challenge. ESPACE

« Le projet Kaplab a permis d’ouvrir l’hôpital à un autre public : des étudiants, des ingénieurs, des designers… Au patient également, il a offert une autre facette. Progressivement, c’est par l’innovation et la collaboration que l’équipe change les regards sur le handicap et rend l’hôpital plus… hospitalier ! » David Servais et Lara Marquet, Kablab

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La prise en main des aides techniques est propre à chaque invalidité. Ici, un joystick ergonomique réalisé sur mesure pour l’utilisation d’une chaise roulante électrique (Kaplab – CHU).
ESPACE Collaboration, c’est un mot-clé de cette entrevue croisée : au travers de la cocréation soignants-soignés, mais aussi d’une inspiration mutuelle qui permettra, nous l’espérons, de réduire la courbe d’apprentissage et de parvenir plus rapidement à des solutions efficaces. Nous sommes curieux de découvrir comment l’établissement de liens étroits entre les deux structures et leurs partenaires respectifs pourrait être à même de générer de nouvelles idées en explorant le modèle innovant du Kaplab et de D4E1 : créer, avant tout, pour un individu unique, sans voir l’industrialisation comme une fin en soi, puis en adapter les résultats à un groupe cible tout restant fidèle au concept d’human-centered design. En 2018, lors de la triennale internationale du design, RECIPROCITY design liège, l’exposition Fragilitas mettait en avant la plus-value que peut représenter le design pour répondre à des situations de fragilité. Redécouvrez ce travail au travers du catalogue de la manifestation. Pour plus d’infos :  Kaplab : www.kaplab.be Design for (every)one (D4E1) :  www.designforeveryone.howest.be

Article co-rédigé par Emilie Parthoens et Cyrielle Doutrewe avec le soutien du Fonds européen de développement régional.

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