Le design et son rapport indispensable à l’industrie, c’est la problématique qu’on aborde ici. La collaboration au cœur du projet, le changement nécessaire en termes de production, la recherche personnelle qui transite vers une échelle plus large, grâce à une sorte de filière créative interdisciplinaire et innovante.
Pour raconter cette histoire, nous partirons d’un produit, un objet charnière entre une phase et l’autre du parcours professionnel, insolite et éblouissant, de Coralie Miessen. Il s’agit de Smock, une collection de couvertures et de revêtements en maille inspirés par les smocks traditionnelles (une ancienne technique de broderie) où un système de fronces et de fils tirés transforme une surface plane et lui confère volume et élasticité. Ce projet exprime la posture de Coralie par rapport à sa vision, son design et son métier : la recherche et l’expérimentation personnelle s’entrelacent à la production industrielle afin d’établir un dialogue et un enrichissement mutuel.
Designer textile de formation, diplômée en 2012 à La Cambre à Bruxelles, Coralie commence à travailler en industrie à partir de 2014 chez DesleeClama (aujourd’hui BekaertDeslee), une entreprise spécialisée dans le secteur de la literie et des textiles pour matelas aussi bien en maille qu’en tissage, où elle recouvrait le rôle de lead designer pour les régions de l’Asie-Pacifique, où elle est amenée à voyager régulièrement.
En 2017, elle participe au SaloneSatellite à Milan avec Belgium is Design :
« C’est un moment où je travaillais à mi-temps, mon intention étant de mener à termes des recherches afin de voir s’il y avait des possibilités soit de collaboration soit d’édition. »
Ligne Roset voit sa collection Smock et décide de l’éditer. « La collection a été développée en collaboration avec une bonneterie belge et sera ensuite produite en Belgique ! » L’objectif suprême d’une jeune designer – l’édition – si vite atteint ne la déconcentre pas de son parcours, mais confirme son talent textile et sa détermination à poursuivre sa démarche évolutive et son esprit collaboratif.
La phase successive est consacrée à l’enseignement à La Cambre, et, parallèlement, elle commence à travailler pour Gabriel – entreprise danoise, de référence internationale en textile d’ameublement. Aujourd’hui, elle collabore intensivement comme designer textile free-lance au sein du département design de cette industrie, voyageant entre Fumal dans la province de Liège, où elle vit et travaille, et le quartier général à Aalborg au Danemark. C’est ici que, grâce à un équipe interdisciplinaire, la production en maille est issue d’une recherche pointue, de la matière du fil jusqu’à la surface finie.
« La question des enjeux de la maille dans le secteur de l’ameublement m’intéressait énormément et, notamment, la maille d’un point de vue industriel où j’ai pu traduire mes recherches en bonneterie. Mes expériences précédentes m’ont amenée à ce que je fais aujourd’hui. »
Ses collaborations avec l’industrie, en tant que designer intégrée dans un processus de recherche et développement, par rapport à une pratique plus personnelle, impliquent certainement un travail plus discret où il faut s’adapter au client, à ses envies, aux contraintes du marché et aux différentes cultures. Le textile est ici un produit semi-fini destiné à habiller un autre produit. Il s’agit de comprendre le produit qu’on va rencontrer, que ce soit un lit, une chaise, et de trouver la meilleure solution à apporter.
« Le mot solution est très important par rapport au textile. C’est une notion que j’ai découverte en commençant mon travail en tant que designer en industrie. Il ne s’agit pas uniquement d’une expression ou d’un aspect émotionnel mais de répondre à des exigences fonctionnelles, techniques, environnementales.
Ça me semble très important de le souligner, en sachant qu’il y a des exigences qui sont souvent très ambitieuses et un cahier des charges parfois très précis, par rapport à l’outil de production, au prix… Le choix de la matière a toujours un impact sur la finalité et la finalité doit avoir un impact sur la sélection des matières. »
L’impact dont on parle ici implique inévitablement la question écologique :
« En tant que designer je me suis beaucoup questionnée à ce sujet : ce sont des questions qui sont très difficiles à traiter dans une démarche individuelle, qui demandent non pas un designer mais une équipe interdisciplinaire et différentes compétences. L’industrie peut offrir ce contexte de travail qui permet d’identifier de façon plus systémique toute une série de paramètres. Quand on parle d’économie circulaire, d’impact environnemental, ça passe par différentes dimensions, que ce soit par rapport aux méthodes de production ou au type de matériau et à la façon dont le matériau est utilisé. »
Le point crucial, selon Coralie, réside dans la collaboration et la capacité de travailler ensemble, dans la confrontation et le dialogue interdisciplinaire. C’est dans cette dimension ouverte qu’advient une véritable valorisation du rôle de designer : « dans ce travail d’équipe, le designer n’a probablement pas l’aura d’un designer-auteur, mais chacun apporte sa pierre à l’édifice« .
L’industrie est souvent perçue comme un espace qui empêche l’épanouissement personnel. Mais c’est quoi la créativité ? Est-ce un espace de liberté, vidé des contraintes ? Selon Coralie, la créativité est avant tout curiosité :
« Je trouve beaucoup de richesse dans le travail que je fais. Les contraintes nous obligent à une adaptation constante sur base de paramètres très concrets. Mon « espace de liberté » je le cultive ailleurs, dans des situations qui ne sont pas nécessairement liées à la création d’un objet. Il est fondamental de continuer à s’enrichir d’expériences, de vécu… »
Dans une dimension industrielle, l’expérimentation et l’apprentissage continu sont des ingrédients indispensables. Le défi est encore plus radical : l’outil industriel est moins flexible et demande donc de trouver des solutions à chaque fois différentes. C’est dans cet interstice, que le rôle du design est fondamental, dans la relation entre l’humain et la machine, l’expérimentation et la production automatisée, gérée de plus en plus par l’intelligence artificielle. Ces deux langages doivent s’entretenir mutuellement. Le futur d’une industrie saine ne peut que se baser sur cet équilibre, nourri soigneusement par le dialogue entre industrie et design, innovation, recherche et expérimentation.
Dans ce paradigme, le textile est un univers particulièrement représentatif :
« Le textile représente pour moi un élément essentiel, élémentaire, activateur d’un confort simple mais chaleureux ; c’est une pratique qui rassemble ; c’est du faire, c’est de l’apprentissage ; c’est la poésie de quelque chose qui se transforme, qui est vivant, dans la matière et dans le glissement d’usages. »
Photos :
© Héloïse Rouard – Ultra Vagues
Article rédigé par Giovanna Massoni,
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.