Photo de couverture :
Aménagement intérieur de la librairie Scientia (Mons), réalisé par le cabinet d’architecture Virabian.
© Virabian
S’habiller, remplir le frigo, entretenir sa maison ou même se soigner, la plupart de nos habitudes de consommation peuvent se passer de déplacement. Un confort sédentaire qui impacte les commerces physiques, forcés de se réinventer pour faire face à l’e-concurrence. De la multimodalité à la multiplication des services, l’imagination est sans limite pour le·la commerçant·e qui doit se redéfinir. “Se redéfinir” seulement ? Et si séduire son·sa client·e passait également par “le·la” redéfinir ? Une démarche intrinsèque au design qui fait la différence !
Le défi du·de la commerçant·e : connaître son client pour répondre à ses besoins et à ses habitudes
Selon Comeos, la Fédération belge du commerce et des services, avec le RGPD, l’augmentation de l’offre et, plus récemment, la crise Covid, en 2019, 80% de l’ensemble des consommateur·trice·s actif·ve·s sur Internet ont acheté en ligne, contre 60% il y a dix ans [1].
De nombreuses études s’intéressent aux comportements en ligne de ces derniers. On sait, par exemple, que le·la Belge achète surtout le soir et de plus en plus sur mobile, ce qui défavorise les commerces physiques. Peu de travaux relatent, par contre, leurs comportements dans un lieu physique qui ont, pourtant, un réel intérêt face au retour croissant d’une recherche de proximité, de qualité de service et de contact avec le produit.
Ainsi, si les clics séduisent beaucoup d’entre nous, selon les expert·e·s, la clé du succès résiderait, dans la complémentarité entre une offre virtuelle et une offre physique, soit la capacité des commerçant·e·s à proposer divers modes d’acquisition et divers types de services [2].
Commerçant·e et designer, complémentaires dans la définition d’une expérience cohérente
En offrant une expérience utilisateur de qualité, une entreprise démontre la connaissance qu’elle a de son·sa client·e : c’est en l’observant et en entrant en contact avec lui·elle qu’elle pourra le mieux adapter ses services et offrir une expérience complète qui génèrera la confiance et, par là, une fidélité à long terme.
Évident ? Oui ! Mais, de l’accueil à la concrétisation de l’achat en passant par la découverte des produits, la définition d’une expérience utilisateur consciencieuse brasse large et requiert donc des compétences pluridisciplinaires. Difficile d’en maitriser, seul, tous les aspects.
C’est pourquoi commerçant·e et designer sont de vrais partenaires dans la définition d’une expérience cohérente de l’espace.
Des identités fortes qui reposent sur des disciplines multiples du design
Dans cet article, nous avons volontairement mis à l’honneur le design d’espace et son lien évident avec l’attractivité d’un commerce physique. Ceci n’exclut pas l’intérêt de combiner d’autres disciplines du design pour renforcer l’attractivité d’une boutique physique.
En complémentarité du design d’espace, d’autres supports visuels peuvent être travaillés simultanément pour favoriser la cohérence de l’identité globale et assurer une bonne compréhension du lieu par ses utilisateurs.
C’est le cas de la Boutique Gourmande, traiteur minute à Huy, qui a développé toute l’identité de son établissement en s’entourant des compétences de plusieurs designers.
D’un côté, le collectif Doris à Collerette s’est occupé de l’identité graphique, de la signalétique, du packaging, de l’enseigne et de la vitrine et, de l’autre, l’architecte d’intérieur Florence Ruyssen (Deux), s’est chargée de l’aménagement intérieur de la boutique. En travaillant de concert, les designers s’enrichissent mutuellement dans le développement des différents éléments qui participent à l’identité globale du lieu.
Les deux exemples suivants témoignent de raisons distinctes qui peuvent pousser un commerçant à faire le choix d’une collaboration avec un·e professionnel·le du design. Loin de faire le tour de la question, iels montrent toutefois des points communs : une volonté forte de transmettre un message à travers l’espace grâce en misant sur une compréhension mutuelle : si le·la commerçant·e comprend son·sa client·e, il·elle lui offre également de comprendre de manière instinctive la philosophie du commerce visité.
- Le Blé en Herbe : revenir à la vie pour le·la client·e, par le·la client·e
À la base de tout projet de design d’espace, il y a un·e commerçant·e « demandeur·se » avec une volonté de proposer une expérience client qui soit une vraie proposition de valeur pour ses client·e·s usager·ère·s.
C’est le cas d’Elsa Cirri, Gérante de l’épicerie bio Le Blé en Herbe située au centre de Tilff, pour qui les inondations de juillet dernier sont une opportunité de remettre l’histoire et le contenu du magasin local à nu, au profit de la relance de l’activité d’une part, des client·e·s et du personnel d’autre part.
« Avoir une nouvelle approche des lieux, c’est remplacer le désespoir par l’action. Face au vide, ce qui m’a encouragée à avancer, c’est la volonté de compréhension du designer : dès les premiers échanges, John savait où il arrivait, il avait cerné la demande et l’environnement, il avait compris la philosophie du Blé en Herbe. » — Elsa Cirri, Gérante – Le Blé en Herbe
Le choix du prestataire s’est presqu’imposé à la jeune femme : quelques contacts avec le studio liégeois Twodesigners lui ont suffi à insuffler la confiance nécessaire à ce revirement. C’est en cherchant à comprendre la manière dont l’espace est vécu, depuis plus de 20 ans, sans vouloir lui imposer une nouvelle vision de son métier, que l’équipe de designers a pu se lancer dans une proposition cohérente qui fait sens avec le ressenti d’Elsa et sa volonté de s’approprier désormais l’espace familial qui lui a été confié.
« Chercher un effet de mode est inutile car chaque projet est différent, a ses propres codes. Ici, on doit faire ressentir le naturel, entretenir la réputation d’un lieu qui vit depuis 2 générations et respecter une expérience d’achat locale. C’est seulement après avoir compris cela que l’on a pu proposer une nouvelle approche des produits et un dynamisme plus marqué dans l’organisation de l’espace. » — Jonathan Honvoh, Co-fondateur et associé – Twodesigners
En misant sur la proximité avec le·la client·e, commerçante et designers vont chercher dans les prochains mois à lui offrir un espace qui correspond à son choix de consommation, un espace qui reflète le caractère et la philosophie du lieu tout en respectant son identité.
- Enfant Terrible : perpétuer un service sans trahir une identité
Autre secteur et autre vision de l’expérience client du côté de la boutique Enfant Terrible, dont la réputation n’est plus à faire et qui s’est dotée d’un deuxième point de vente liégeois, à deux pas du premier. La patronne, Magali Nutting, a fait appel aux services du studio Label5.9, studio fondé par Kevin Bona, pour en créer l’identité.
Le défi était de traduire l’expérience intangible de la première boutique en un lieu et une atmosphère qui reflète l’expérience globale offerte au client. Une expérience qui regroupe plusieurs aspects, de la prise en charge du·de la client·e au conseil, grâce à l’écoute, l’expertise, la sympathie du personnel et son professionnalisme.
L’équipe de Label5.9 a réussi le pari en proposant une boutique à l’atmosphère feutrée et un agencement harmonieux aux couleurs et aux matériaux naturels qui permet au personnel d’accueillir la clientèle en perpétuant la qualité du service tel que proposé depuis plus de dix ans.
La valeur ajoutée du design dans cette collaboration est prégnante. Nous vous la proposons au travers du récit de collaboration : « Enfant Terrible × Label5.9 : la traduction d’une expérience totale au sein de l’espace ».
Maximiser l’attractivité des centres-villes grâce au design
Ce n’est pas un phénomène neuf : en 2016 déjà, L’Écho relevait la multiplication des vitrines vides au cœur des cités wallonnes. Plusieurs facteurs influencent cette désertion hélas toujours très actuelle : les travaux d’infrastructure, la croissance de l’offre commerciale périphérique, les problématiques d’accessibilité ou de trafic… etc. [3]
Pour solutionner ce problème, les tentatives des pouvoirs locaux sont diverses et variées, de l’implication des commerçant·e·s dans le processus décisionnel à la diversification de l’offre en passant par l’appui sur une législation régionale qui tente d’encourager le développement commercial. Des formules à résultats variables que la crise sanitaire est malheureusement venue affaiblir…
Dans ce contexte, l’initiative DESIGN IN SHOPS mérite d’être mise en évidence. Elle vise à renforcer l’attractivité des commerces en encourageant la collaboration entre les designers professionnel·le·s et les commerces de 4 centres-villes associées pour maximiser l’attractivité des centres-villes grâce au design : Mons, Tournai, Kortrijk et Lille.
Concrètement, DESIGN IN SHOPS est soutenue par le programme de coopération territoriale européenne Interreg France-Wallonie-Vlaanderen et est mise en œuvre depuis février 2019 par notre partenaire Maison du Design.
Côté wallon, l’appel à projets a déjà permis à 28 commerçants (moitié à Tournai, moitié à Mons) de travailler avec un·e designer professionnel·le pour renforcer leur attractivité en se concentrant, par exemple, sur l’aménagement intérieur et/ou extérieur, la création de mobilier, la devanture, la signalétique, la gestion des flux, l’amélioration de la visibilité ou encore le design de service de leur commerce. [4]
Quelques images, plus inspirantes qu’un long discours
Parmi les exemples de commerces ayant bénéficié de l’initiative DESIGN IN SHOPS, en voici deux, très différents mais pour le moins inspirants, qui ont contribué à soutenir des commerçant·e·s wallon·ne·s dans leur volonté de répondre aux besoins de leurs client·e·s en attachant de l’importance à leur expérimentation de l’espace.
- Green Terra & Aequo: le fil
rougevert d’une identité propre
Green Terra est un concept store de Tournai qui a fait appel à l’agence de design Aequo avec le souhait d’agrandir son espace de vente, en tirant parti d’une pièce étroite au plafond bas, qui servait jusque-là de lieu de stockage. Le challenge des designers était de créer une identité propre en faisant des contraintes de la pièce des atouts pour mettre en valeur les différents types d’objets à présenter. Un défi relevé grâce à un tube de cuivre…
- Scientia & Virabian:
La librairie Scientia est une librairie montoise qui propose de la littérature scientifique, jeunesse et générale. Grâce au soutien du programme Interreg DESIGN IN SHOPS, la librairie a fait appel à l’agence de design Virabian pour aménager sa vitrine afin d’y présenter un maximum d’ouvrages, de façon modulable, et d’ainsi donner au gérant la possibilité de renouveler régulièrement les publications mises en avant, sans être tenu par des contraintes pratiques comme la taille des livres.
Envie de découvrir d’autres commerces boostés par le design ?
DESIGN IN SHOPS comprend également un volet de valorisation des commerces qui prend vie au travers d’un parcours-concours.
Découvrez ces aménagements et profitez-en pour voter pour votre réalisation préférée (jusqu’au 21/10 pour Tournai et à partir du 18/11 pour Mons).
Un prix du public et un prix de professionnels récompenseront les collaborations abouties qui ont apporté la réponse la plus adéquate à la problématique de départ.
Save the date !Le 25 novembre 2021, de 18h à 22h, Wallonie Design et Maison du design vous invitent à un « Rendez-vous du design » à Mons sur le thème : « Comment le design participe à l’expérience-client dans les commerces ? » Plus d’infos prochainement sur https://www.walloniedesign.be/event/… |
Article rédigé par Emilie Parthoens et Julie Toby,
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.
[1] Source : « L’e-commerce ne menace pas (trop) les magasins physiques », L’Echo, 06/10/2020, Jean-François Sacré.
[2] Source : « E-commerce et commerce physique, la complémentarité gagnante », E-commerce Nation, 21/04/2020, Oxatis.
[3] Source : « Les centres-villes wallons désertés par les commerces », L’Echo, 10/03/2016, Michel Lauwers.
[4] Plus d’infos sur cette action : http://design-in.city/fr/