En février 2019, la troisième édition du Fig., le festival de graphisme de Liège, a entre autres abordé le sujet des outils libres en graphisme, notamment au travers du workshop donné par Luuse, collectif de designers graphiques et développeurs, à l’invitation de Wallonie Design, ou de la table de discussion menée par Sarah Garcin, designer graphique et chercheuse.
L’occasion de revenir sur les notions de libre, open source, propriétaire et leur impact possible sur les pratiques des designers graphiques.
Libre ?
Pour être dit « libre », un outil doit respecter quatre grands principes de liberté[1].
- Liberté 0 : La liberté d’utiliser le logiciel, pour quelque usage que ce soit.
- Liberté 1 : La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à vos propres besoins. (L’accès au code source est une condition pour tout ceci).
- Liberté 2 : La liberté de redistribuer des copies de façon à pouvoir aider votre voisin.
- Liberté 3 : La liberté d’améliorer le programme, et de diffuser vos améliorations au public, de façon à ce que l’ensemble de la communauté en tire avantage. L’accès au code source est une condition pour tout ceci.
A l’opposé de l’outil libre, il y a l’outil dit « propriétaire » qui lui, impose des limitations de licences aux utilisateurs et ne respecte donc pas l’ensemble des quatre principes requis par le libre. On peut citer par exemple la suite Adobe.
Open source
La notion d’open source quant elle, est à distinguer du libre. Certes, les licences open source doivent respecter un ensemble de paramètres définis par l’Open Source Initiative, qui s’apparentent à ceux du libre, parmi lesquels : la libre redistribution, l’accès au code source et la possibilité de modifications et de redistribution de celles-ci, éventuellement sous un nom ou un numéro de version différent. Cependant les enjeux et considérations de l’open source sont plutôt techniques et pragmatiques que philosophiques ou politiques. Le mouvement du libre porte des aspirations plus globales et militantes, voire radicales. Il engage à aller plus loin que l’utilisation passive des outils. Il encourage à faire l’effort de comprendre le fonctionnement des outils, à les maitriser pour ne pas leur être soumis.
Sans s’attarder sur ces différences éthiques, on parle de FLOSS, Free Libre Open Source Software, pour regrouper libre et open source en déjouant au passage, l’ambiguïté du mot « free » en anglais, dont on souligne le sens de libre au détriment du sens de gratuit, car tous les FLOSS ne sont pas forcément gratuits.
Liberté vs contrainte
L’utilisation des FLOSS présente différents avantages. Parmi ceux-ci figure le coût, bien moindre que les licences propriétaires, voire nul. C’est parfois un élément moteur de changement, pour certains jeunes professionnels qui se lancent notamment, mais ce n’est pas le meilleur facteur d’adoption sur le long terme. Ce sont plutôt les contraintes, parfois libératrices, que représentent ces outils, qui pèsent dans la balance. Du logiciel propriétaire ou de l’outil libre, lequel est le plus contraignant ? Tout dépend du point de vue qu’on adopte.
D’un côté, les jeunes diplômés d’écoles de graphisme sont rarement formés à l’utilisation des FLOSS. L’adaptation aux logiciels open source demande dès lors un temps d’apprentissage et de prise en main qui n’est pas facilité par des interfaces parfois peu attractives. D’un autre côté, bien que les écoles forment à l’utilisation de certains logiciels propriétaires, la suite Adobe en tête, les possibilités de celle-ci et sa complexité sont telles que rares sont ceux qui en maitrisent ne serait-ce que la moitié du potentiel.
Le confort d’une cage dorée ?
Dans ce cas, ce que les logiciels propriétaires prévoient dans leurs réglages « par défaut » a pour impact de formater la création de façon implicite. Puisque les possibilités sont nombreuses, mais que leur maitrise est ardue, on s’aventure peu. On n’envisage pas pour autant de changer d’outil, car les logiciels propriétaires présentent souvent une attractivité plus grande que leurs homologues FLOSS. Cette attractivité vient tantôt de la fluidité d’usage, voire des qualités de l’interface, tantôt plus simplement de l’habitude ou la formation. Emprisonné dans une sorte de cage dorée qui restreint par différents paramètres, mais qui rassure par d’autres, on en vient à rester dans le connu, sans plus se poser de question.
Pourtant la question de l’outil qu’on utilise n’est pas sans impact sur ce qu’on crée. Un pinceau ou un compas ne permettront pas de tracer les mêmes cercles. Travailler systématiquement avec les mêmes outils revient-il dès lors à se couper de certaines nouvelles perspectives sur ce qu’on crée ?
[1] Ces quatre libertés sont définis par la Free Software Foundation (FSF) (littéralement « Fondation pour le logiciel libre »), une organisation américaine à but non lucratif fondée par Richard Stallman le 4 octobre 1985.
Article rédigé avec le soutien du Fonds européen de développement régional.