La parole aux designers wallon·nes établi·es au-delà de nos frontières : Pierre Leclercq

Focus sur Pierre Leclercq, le designer bastognard qui a décidé de faire carrière dans le secteur automobile à la sortie de ses études, et qui y est brillamment parvenu !  

Wallonie Design a voulu mettre en lumière les parcours de designers wallon·nes ayant exercé aux quatre coins du globe. Nous leur avons demandé de partager leurs expériences et les pratiques inspirantes rencontrées en chemin. Ces designers nous ont aussi exposé leur point de vue sur le métier et nous ont confié les conseils qu’ils donneraient à de jeunes designers.

Pierre Leclercq est, depuis 2018, Directeur du Style Citroën, en France. Après des études en design industriel à l’ESA Saint-Luc Liège, il part étudier le design automobile à l’Art Center College of Design de Pasadena en Californie. Il travaille ensuite pour Ford en Italie et, peu de temps après, il intègre le groupe BMW en Californie et à Munich pour travailler sur le design des marques BMW, Rolls Royce et Minis. Il évoluera ensuite dans différents pays comme la Chine où il sera Directeur du design pour Great Wall Motors, puis la Corée où il prendra la direction du style de Kia.

Après avoir travaillé comme designer dans tous ces endroits du monde, comment décririez-vous les Belges, professionnellement ?

Pour commencer, comme la Belgique est un pays multilingue, les Belges sont naturellement ouverts aux langues. Une personne belge est plus souvent prête à partir qu’une personne originaire de Paris ou de Munich, par exemple, car dans ces grandes villes, on trouve déjà beaucoup d’entreprises spécifiques, comme des constructeurs automobiles nationaux, qu’on ne trouve pas chez nous. Pour cette raison, les Belges sont ouverts d’esprit. En ce qui me concerne, pour travailler dans le design automobile, j’ai été obligé de partir.

Que retenez-vous de vos différentes expériences en tant que designer à l’étranger ?

Lorsqu’on se retrouve dans un autre pays, il faut pouvoir se comprendre l’un et l’autre, et s’adapter à une culture d’entreprise qui est différente. En Chine, j’ai été marqué par le fait qu’il n’y avait pas de problème à produire de copies, c’est considéré comme tout à fait normal. En Corée, j’ai remarqué de très belles cohésions d’équipe, mais aussi un besoin constant de modernité. Le design doit tout le temps évoluer. En Allemagne, on ne décale jamais une date, ils sont très efficaces. En France, la créativité est incroyable ! Il y a beaucoup d’agilité en entreprise et un bel esprit d’équipe. Chez Citroën, l’équipe travaille dans un but commun.

La Citroën Ami a eu beaucoup de succès dernièrement…

Oui, avec l’Ami, Citroën a fait le buzz. À partir de 16 ans (et dès 14 ans en France), les jeunes peuvent la conduire pour aller à l’école. Elle est rassurante pour les parents qui ne veulent pas que leur enfant roule à moto. Quand je suis arrivé, sa conception était presque finie, mais le concept autour de l’Ami va continuer à grandir. Avec cette voiture, Citroën a créé un style de vie ! (ndlr : L’Ami est un nouveau quadricycle à moteur sans permis de Citroën).

Citroën ë-C3

Quel est le rôle du designer pour cette mouvance de « downsizing techno » que l’on perçoit sur des projets comme l’Ami ?

Ami est notre objet de micro-mobilité, 100% électrique, 2 places, avec un prix accessible à tous.

Le 1er challenge du designer dans la mouvance de « downsizing techno » est de concevoir un produit issu d’une approche non automobile, en rupture, dans l’esprit du design industriel, pour créer une silhouette iconique. Avec Ami, les designers ont imaginé une silhouette ultra compacte pour réduire l’emprunte au sol, mais très habitable à l’intérieur.

Le 2ème challenge du designer dans cette mouvance est de limiter au maximum le nombre de pièces à produire. Sur Ami, comme sur le concept Oli, la conception de pièces symétriques comme les portières ou les boucliers avant et arrière permettent de réduire les coûts de développement et de production.

Le 3ème challenge du designer est de contribuer à la durabilité. Sur le concept Oli, les sièges, les garnissages et les pneus sont en matériaux recyclés et recyclables. Pour gagner du poids, la batterie est de taille réduite et l’écran central est supprimé : il peut être remplacé par le smartphone des utilisateur·rices qui connectent leurs appareils pour remplacer la navigation.

Le dernier challenge du designer, et pas des moindres, est de rendre sexy des produits d’entrée de gamme. La nouvelle ë-C3, avec sa signature lumineuse, ses proportions et son affichage tête haute à l’intérieur est le parfait exemple. Sur Ami, la personnalisation avec les stickers à l’extérieur et des accessoires intérieurs donne du peps à cette micro-citadine électrique.

Quels conseils donneriez-vous à un·e jeune designer ?

Tout d’abord, s’il ou elle veut partir, les langues sont très importantes, surtout l’anglais et l’allemand. Mais le choix géographique ne doit pas être sa première motivation. Le salaire, encore moins. Ce qui doit le ou la guider avant tout est le choix de l’entreprise et les opportunités qui y sont liées !

La créativité et la communication sont essentiels aux designers. Cela passe par le dessin mais aussi par le 3D. À l’ESA Saint-Luc Liège, j’ai acquis une certaine maturité au niveau de la philosophie du design produit/industriel, notamment le fait que le design doit être fonctionnel avant tout. C’est pour moi la base. Cependant, ma réalité aujourd’hui est de pousser vers un design plus sexy, plus désirable, et de l’industrialiser.

Citroën Oli

Que trouvez-vous d’excitant dans le métier de designer aujourd’hui ?

Le design n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. La plupart de nos client·es marchent en effet au coup de cœur. Quel que soit le prix de la voiture, le design n’est plus un luxe. Que le produit soit démocratique ou très cher, les client·es ont besoin de s’identifier au design de ce qu’ils·elles achètent et ce avec quoi ils·elles vont vivre tous les jours.

Chez Citroën, nous avons la mission d’offrir la mobilité à tous. La nouvelle ë-C3, par exemple, se vend à partir de 23.000 € en électrique. C’est tout juste incroyable et nous sommes extrêmement fièr·es de cette voiture qui a déjà énormément de succès à chaque fois que nous la présentons. Les précommandes explosent.

Pour moi, le challenge de voir un maximum de personnes utiliser le produit qu’on a dessiné, les croiser sur la route, représente la beauté de notre job. J’ai le sentiment de contribuer au bonheur quotidien de nos client·es !

Que pensez-vous du design de service ?

C’est une révolution ! On en a vraiment besoin. Par exemple, chez Stellantis (ndlr : Stellantis est un groupe automobile multinational reprenant entre autres la marque Citroën), nous projetons d’atteindre, en 2038, une production de 0% de CO2, tant au niveau du développement d’une voiture, de sa production, que de la vente puis de son utilisation. Tout ça va changer la manière de faire des voitures, de les vendre puis d’en recycler les matériaux. Il est donc nécessaire de repenser tous nos services et en ça, le design de service est primordial !

Une dernière chose à ajouter ?

Aujourd’hui, on a besoin de designers, il y a beaucoup de travail ! Il faut pouvoir compléter les différentes visions du design en restant ouvert d’esprit, en se formant en Belgique, mais aussi à l’étranger.

Article rédigé par Manon Dainotti, avec le soutien de Wallonie Entreprendre.

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