Face-à face avec Léa Lebru : le design d’innovation sociale, méthodologie d’avenir

En 2023, les HERA Awards ont proclamé Léa Lebru lauréate dans la catégorie Sustainable Design pour son mémoire de fin d’études en Design d’innovation sociale. Partenaire de ce prix d’excellence, Wallonie Design a souhaité mettre en lumière cette jeune designer.


À propos de Léa Lebru

Originaire de France, Léa Lebru a réalisé un bac en arts appliqués et un BTS en Design de communication, espace et volume à Paris. Après une expérience en alternance dans un établissement de luxe, elle élit domicile à Bruxelles pour suivre le master en Design d’Innovation Sociale de l’ESA Saint-Luc Bruxelles. Elle a grandement apprécié les valeurs distillées dans ce master et le fait de travailler en équipe pluridisciplinaire, directement sur des projets concrets comme celui concernant les arbres remarquables de la commune d’Ixelles. Après le master, Léa a réalisé une mission pour Bruxelles Environnement avec le projet RENOLAB_4_school qui vient de se terminer.

 

 

À propos de son mémoire : Faites au village, l’écrit : analyse et réflexion sur les Tiers-Lieux en milieux ruraux

Léa Lebru s’est intéressée aux tiers-lieux, ces endroits considérés comme partagés ou collaboratifs, dans lesquels des individus décident de partager des expériences ou des projets locaux dans une atmosphère joyeuse, selon une organisation égalitaire et où les manières de penser et d’agir se veulent alternatifs. Léa s’est particulièrement attachée à trois tiers-lieux établis en zone rurale ou semi-rurale : Quatre quarts (Court-Saint-Etienne, Belgique), La Colporteuse (Deux-Sèvres, France) et L’Arbre Tiers-Lieu, (Calvados, France). En s’appuyant sur la méthodologie du design d’innovation sociale, son enquête de terrain a interrogé le sentiment d’appartenance, le mode de gouvernance, l’utilisation des ressources humaines et matérielles, etc. Parmi les conclusions tirées de son travail (prolongées par un documentaire de cinéma-anthropologie), Léa suggère de créer un rôle de « coordinateur·rice créatif·ve » au sein des tiers-lieux comme facteur de pérennisation de ceux-ci.

Ce mémoire est la partie écrite d’un documentaire, Faites au village, co-réalisé avec Liloé Duschene.

 


 

Léa, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le design d’innovation sociale ?

Quand je dis que je fais du design d’innovation sociale, 99% des personnes que je rencontre demandent “kezako?” ou me répondent “ah, c’est du mobilier pour SDF”. Alors qu’en réalité, c’est du design en équipe, où on mélange les compétences, qui est au service de projets environnementaux et sociaux, par le biais d’une méthodologie très participative où on vient vraiment questionner l’usager, pour comprendre ses besoins et pour proposer une solution adéquate.” Dans cette démarche, tout est avancé, justifié et validé par les besoins des usagers.

 

Dans cette approche, quelle place prend la méthodologie du design thinking ?

J’apprécie personnellement l’élasticité de cette méthodologie, chaque étape pouvant être modulée par rapport au projet. Dans mes projets, il est important pour moi d’amener assez directement les gens dans la phase d’idéation, grâce à des outils créatifs, afin d’être vraiment dans le concret. La notion de prototype rapide est hyper présente dans cette méthodologie. On met la main à la pâte en un instant, avec du carton et du papier collant par exemple. Et dans la foulée, on teste ce prototype sur le terrain. Cela permet de faire des bonds énormes dans le projet. Dans mes anciennes études de design, j’ai souvent trouvé dommage que l’étape de prototype arrivait tard. Ici, j’adore ce qu’on pourrait appeler le “faire rapidement” – d’ailleurs prôné par le master en Design d’Innovation Sociale.

 

Le “faire rapidement” est du reste au cœur de votre mémoire. Pouvez-vous nous dire comment vous avez choisi ce sujet spécifique des tiers-lieux en milieux ruraux ?

J’ai choisi ce sujet d’une part car nous étions basés au See-U à Bruxelles durant la première année du master ; c’était la plus grosse occupation temporaire de l’époque. Et y évoluer, interagir tous les jours avec des porteurs projets différents, participer aux dynamiques du lieu… m’a beaucoup plu. D’autre part, en vivant en France, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas ce genre de lieux en campagne, qu’ils appartenaient plutôt à la ville. J’ai donc voulu explorer l’émergence des tiers-lieux ruraux.

Une fois sur le terrain, il était flagrant pour moi que les dynamiques de tiers-lieux – qui sont des lieux qui réfléchissent beaucoup à propos d’eux-mêmes – correspondaient fortement à la méthodologie du design thinking. J’ai été particulièrement bluffée par La Colporteuse, qui appliquait à peu de choses près les mêmes principes que cette méthodologie apprise pendant le master. Les ponts entre les tiers-lieux et la méthodologie ont été facilement jetés. Dans ces lieux, le design thinking est en recalibrage constant, en perpétuel mouvement à différents niveaux, tout en ayant des balises ; par exemple avec le fonctionnement des cercles thématiques pour L’Arbre, qui donnent un cadre d’évolution aux différents projets du lieu.

 

 

Quelles sont les suites pour votre mémoire et ce sujet ?

Tout d’abord, le film Faites au Village, continue à être projeté tant en Belgique qu’en France. À chaque projection, nous avons souhaité avec Liloé Duschene qu’il y ait un débat mouvant pour que le public puisse se questionner sur le sujet.

En m’intéressant aux tiers-lieux, je remarque qu’ils commencent à être reconnus ; pour preuve, le Gouvernement wallon a lancé, sur l’initiative des ministres Céline Tellier et Philippe Henry, un appel à projet “Tiers-lieux ruraux”, qui résonne tout à fait avec mon sujet d’étude. Vingt-trois projets ont d’ailleurs été reconnus, dont l’un de ceux étudiés dans mon mémoire, le Quatre Quarts. 

Juste après mes études, j’ai travaillé pour RENOLAB_4_school, suite à un appel lancé par Bruxelles Environnement. Il s’agissait d’une mission d’un an de recherche-action pour aider les écoles secondaires bruxelloises à rénover leurs bâtiments. Après plusieurs analyses de terrain, nous avons axé notre travail sur les élèves. Le but était que les élèves ‘ils prennent conscience de leurs bâtiments, parlent de leur relation avec ceux-ci (ressentis, sensations), se les approprient et soumettent des propositions/demandes à leur direction. Sur le terrain, nous avons été à leur rencontre et les avons questionnés grâce à des outils créatifs (cartes géantes, radios, micros, visites…) À l’issue de ce projet, un prototype assez abouti d’un jeu de société a été créé.

Dans les projets de design d’innovation sociale, j’accorde de l’importance et du temps à créer du lien avec les usagers et à gagner leur confiance, afin que le projet se déroule au mieux.

 

Quelques mots concernant votre futur ?

D’un point de vue personnel, j’ai vraiment envie de travailler sur la manière dont les citoyen·ne·s s’emparent d’un bâtiment de leur territoire et s’y sentent à l’aise. Pour l’avenir, je pense que la philosophie du design thinking est inspirante car elle pourra participer à un monde désirable dans lequel on prend davantage en compte les désirs des gens, leurs envies, et où l’on fait attention les uns aux autres… Cela m’inspire philosophiquement dans la projection que j’ai envie de faire du futur en tout cas.

 

En attendant ce futur, Léa Lebru est actuellement en train de parcourir l’Europe, notamment à la découverte d’autres dynamiques de tiers-lieux, mais pas que…

 


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Découvrez les projets primés aux côtés de celui de Léa Lebru pour les HERA Awards 2023 : lire l’article

Le HERA Award Sustainable Design est un prix d’excellence organisé par la Fondation pour les Générations Futures avec le soutien du Fonds Philippe Rotthier pour les Générations Futures, et en partenariat avec Wallonie Design.

 


Photo de couverture : La Colporteuse, Poitou-Charente France, illustration de Léa Lebru sur base du dessin des Colporteurs.

Photos et visuels de l’article : © Léa Lebru


 

Article rédigé par Cécilia Rigaux
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.

 

 

 

 

 

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